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Karim Kattan, écrivain palestinien : « Pourquoi Gaza a-t-elle disparu derrière des sophismes, des approximations, des murmures désolés ? »

Quel bien étrange paradoxe : Gaza est partout et nulle part. Il est aussi courant de lire chaque jour le nombre de morts que de commenter les averses en automne. Phénomènes météorologiques, violence atmosphérique : la pluie est normale, et mourir amputé, torturé, affamé par les Israéliens à Gaza aussi. Nous redoutions ce moment mais le savions inévitable tant la mécanique du racisme est prévisible : les gens s’y sont habitués. Les Israéliens comptaient-ils sur ça, sur l’effet du temps qui atténue l’horreur, facilite le consentement, habitue au pire ? Quoi qu’il en soit, la crise ne suscite plus le même intérêt. Gaza, champ de mort, la Palestine mutilée : dorénavant une normalité et non une urgence. Un aléa, non des crimes contre l’humanité. Une guerre, non des atrocités.
En France, comme ailleurs, des controverses détournent l’attention. Chaque jour apporte sa petite polémique, où des représentants du pouvoir français s’indignent au sujet des propos tenus par Untel ou Untel et lancent des accusations en tout genre, peu caractérisées, expriment des indignations morales approximatives qui ne souffrent aucune démonstration. Le tout, souvent, pour taire la parole en soutien à la survie et la liberté des Palestiniens. On aurait rêvé qu’ils s’indignent avec au moins autant de ferveur au sujet des dizaines de milliers de victimes palestiniennes.
Quant aux automatismes journalistiques que l’on aperçoit un peu partout – utilisation de la voix passive, de verbes approximatifs, déshistorisation, euphémismes –, ils viennent créer des ambiguïtés, rendre impersonnelles les atrocités, amoindrir les réalités de l’apartheid, de l’occupation, de la colonisation. C’est à se demander vraiment qui tue les Palestiniens, dans quel but, et depuis quand.
Les témoignages des citoyens, des journalistes, des médecins et des rares étrangers pénétrant dans l’enclave détruite mettent en lumière à quel point ce paysage discursif est défaillant. Ils montrent que l’enfer est là depuis près d’un an déjà. Même les soldats le décrivent, car ils sont fiers d’avoir créé cet enfer. Tout cela en dépit du black-out médiatique total imposé par Israël, qui s’assure qu’aucun journaliste étranger ne puisse pénétrer dans Gaza, à moins d’être escorté par l’armée.
Manière grossière, mais efficace, d’empêcher la production d’une iconographie directe de ses crimes – bien sûr, les Palestiniens la produisent chaque heure, mais on ne croit jamais entièrement ce que nous disons, nous soupçonnant toujours de mensonge et d’imprécision. Ce fait, qui conditionne la manière dont les nouvelles circulent ou non depuis Gaza, devrait être mentionné dans chaque article pour contextualiser les sources, leur absence ou leur fiabilité. Or, il est seulement rappelé de temps à autre, de façon incidente, jamais comme l’élément structurant de l’information en Israël-Palestine.
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